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David Desjardins: chroniqueur de cœur

Photo: Denis Beaumont/Métro

Refusant de se soumettre à ce «tyran» qu’est l’actualité, refusant aussi de cesser de douter, de tout, de lui, ne serait-ce que le temps d’un texte, d’un jour ou d’une seconde, David Desjardins chronique. Sur l’éducation qui le trouble, sur les livres qu’il adore. Et puis sur le vélo, sur la course, sur notre rapport à la violence, sur Kurt Cobain… Avec Le coeur est une valeur mobilière, cet «angoissé pas malheureux» nous présente «un best of de ce qu’il a fait pendant 11 ans dans sa job».

Le coeur est une valeur mobilière, c’est le recueil d’un chroniqueur qui n’est pas un «gardeux». Un chroniqueur qui n’a jamais découpé ses propres textes pour ensuite les entreposer dans une boîte à souliers ou pour les coller sur son frigo avec des aimants colorés.

Heureusement, avec ce recueil, David Desjardins possède désormais un témoin de ses 11 années de travail qui compense, et de loin, toutes ces années où il a refusé de faire du scrapbooking avec ses propres papiers. Séparé en trois sections – Chroniques du grand méchant nous, Chroniques pour apprendre à vivre et Chroniques inutiles – Le cœur est une valeur mobilière regroupe des textes tirés du Voir Québec, dont il a été rédacteur en chef pendant 10 ans, jumelés à des chroniques parues dans L’Actualité et dans Le Devoir, auxquels il collabore aujourd’hui. Et s’il y a bien quelques trucs datant de 2005 et 2006, on n’y trouve aucun texte qui témoigne de ses premières années dans le métier. «Ça m’a pris trois ans et 150 chroniques avant d’écrire de quoi de bon», estime-t-il.

Le recueil s’ouvre sur une rubrique qui parle d’analphabétisme. Sa «colère d’origine». «La plupart des problèmes que je dénonce viennent de là», rappelle ce résidant de Québec. Mais Desjardins étant Desjardins, cette colère n’est pas sans être née d’une profonde réflexion. «Ce qui me scandalise, ce sont tous les tours de passe-passe qui se font dans le système et dans l’éducation. Par exemple, on nivelle les notes pour éviter de se faire blâmer par la commission scolaire. Ce genre de chose, ça me fait halluciner. C’est ce qui fait que les politiciens nous parlent par slogans; c’est ce qui fait que les campagnes de pub arrivent si facilement à leurrer le monde.»

De tous les sujets qui le préoccupent, l’analphabétisme est-il celui qui le trouble le plus? «L’éducation en général me trouble énormément, répond-il. C’est le dernier rempart qui nous reste pour éviter d’être manipulés, individuellement, comme peuple… C’est scandaleux que dans un pays civilisé, industrialisé et riche, il y ait la moitié du monde qui ne sache à peu près pas lire. Qu’on en soit encore là.»

Au fil des pages de son recueil, Desjardins parle aussi de filles qui pleurent dans les cafés, de son indifférence face au hockey, de la beauté, de son contraire, et de ces peines d’amitié qui font parfois plus mal que celles de cœur. Des sujets jalonnés par des expressions qui captent le temps, l’instant, le maintenant. «La culture du hoquet», écrit-il par exemple. Ou encore, «l’ère Zuckerberg». Se sentirait-il, parfois, comme un archiviste du moment? «Je n’ai pas la prétention de faire un travail de sociologue, mais j’aime “prendre des photos”, montrer ce qu’on est aujourd’hui.»

Et c’est cette capacité à capter le présent qui nous permet, en lisant ses archives, de retourner à des évènements précis du passé. À une époque où GSP était «le plus méconnu de nos héros nationaux» ou aux premières heures de la campagne de «Kid Coderre», que «Montréal va élire» avait-il prédit. «Mais ça, c’était prévisible…»

Celui qui croit que «t’es seulement aussi bon que ta dernière chronique» se dit affecté aussi par «l’absurdité du monde». Dans Courir, il parle de la «solitude-panique» qui le prend parfois. Un état qu’il soigne par l’art, par le sport, par le vélo. Par l’écriture aussi? «Non. L’écriture, ce n’est pas un remède. Je trouve ça difficile, ce n’est pas drôle et je n’y prends pas beaucoup de plaisir.» Il dit d’ailleurs qu’il est rarement satisfait de ses mots; qu’il l’est davantage de ses performances sportives. «Quand tu fais une course de vélo, si tu finis cinquième, t’as fini cinquième et tu peux te trouver toutes les excuses du monde, t’auras quand même fini cinquième. Alors que l’écriture, c’est super subjectif.»

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«J’écris parce que je lis», dit Desjardins. Et dans ses chroniques, il écrit aussi sur ce qu’il lit. Ainsi, on croise ici Amos Oz, là Maxime-Olivier Moutier, là encore Agota Kristof… Des compagnons d’écriture? «Plutôt des compagnons de vie».

Comme Beigbeder, auquel il fait aussi référence dans quelques textes, le chroniqueur ne se souvient pas de son enfance. Seulement de quelques images. Des «genres de tableaux» qui durent trente secondes. «Mes frères et sœurs. Des batailles. Quelques jouets.»

Par contre, l’adolescence, il s’en souvient viscéralement. On le sent dans certains textes où il montre une compréhension profonde de cette phase : le tourbillon d’émotions, les questionnements constants, le malaise, tout ça. «Je pense qu’on devrait tous garder en mémoire ce que c’était d’être ado. Ça nous permettrait de moins juger les jeunes et de nous rappeler à quel point toutes ces choses qu’on trouve niaiseuses en vieillissant nous semblaient graves et importantes… et auraient dû le rester.»

Hyper angoissé, mais pas malheureux, mené par l’instinct, Desjardins confie avoir travaillé de façon démoniaque – et de toujours le faire – pour réussir. Mais il avoue quand même avoir été «mardeux» dans son parcours. «J’ai lâché l’école, je l’ai échappé… Puis, je suis retourné étudier, François Desmeules [alors rédacteur en chef du Voir Québec] m’a engagé et m’a montré ma job. Pendant trois mois, je n’ai rien publié; il me faisait écrire. Ça n’arrive pas, ça là! C’est un miracle!» Quand son mentor est parti vivre dans la métropole pour prendre les rênes du Voir Montréal, il lui a demandé s’il voulait sa job. «J’avais 27 ans, je suis devenu rédac chef et il a fallu que j’écrive des chroniques.» Il a connu les moments passés à ne «pas s’endurer», à «avoir hâte que le journal ne soit plus en kiosque parce que la chronique de cette semaine-là était vraiment poche.» Aujourd’hui encore, certaines choses lui font peur quand il rédige. Comme? «Me répéter. Devenir une caricature de moi-même.»

Pour éviter ça, il essaye de «changer un peu, tout le temps». «Ça ne me satisfait pas de pondre une chronique sur le coin d’une table juste pour scandaliser le monde. Ce n’est pas intéressant. Crisser le feu, te tasser, et regarder ça aller? Je ne vois pas l’intérêt. Par contre, mettre un miroir dans la face du monde et dire : ‘’Regarde! Regarde comme t’as l’air cave parce que tu n’as même pas vu la poutre dans ton oeil’’, ça, c’est intéressant.»

David Desjardins sur…

… les livres
La littérature? «J’en parle souvent, acquiesce David Desjardins. Des romans où tout va bien, ça ne fait pas de bons romans et dans les vrais bons romans, tu rencontres des personnages qui sont en crise, des personnages à la croisée des chemins, des personnages qui doutent et qui se demandent qui ils sont, où ils vont… Des questions de base, de philosophie 101, mais aussi des questions que, lorsque t’es pris dans le tourbillon de la vie, tu ne te poses plus. Et je crois que la littérature sert à ça : à poser ces questions qu’on n’a parfois plus le temps de se poser.»

…la part de spectacle
«C’est sûr qu’il y a une part de spectacle dans la chronique», confie celui qui est aussi confronté, parfois, à une idée reçue que les lecteurs ont de lui. «Il y a des gens qui me rencontrent et qui sont un peu surpris parce que, avant de me rencontrer en vrai, ils pensaient que j’étais un peu fuckeur. Mon personnage de chronique, c’est la part de moi qui est un fuckeur, elle existe cette partie-là et ce n’est pas une invention. Je sais que dans mes textes, je ne suis pas toujours sympathique. Mais, je ne suis pas là pour me faire des amis. Dans la vie, oui.»

…les attentes
«J’aime prendre le monde à contre-pied, me retrouver à l’endroit où on ne m’attend pas. Si je parle contre l’industrie, contre les méchants puissants, contre les magnats, personne ne va être surpris», remarque le chroniqueur. Il n’écrit donc pas pour un public particulier, n’a pas peur de critiquer des gens qu’on ne s’attendrait pas à ce qu’il critique. «Je n’ai pas de chapelle. Pas d’église. Je suis contre les niaiseries. Et les niaiseries, tout le monde en fait.»

Le coeur est une valeur mobilière
Aux éditions Somme Toute
David Desjardins sera au Salon du livre dimanche de 12 h à 13 h et de 16 h à 17 h

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